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Ma vie ne regarde que moi
28 janvier 2020

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Avant d’entrer dans la pièce, celui qui s’était présenté comme chevalier me fit asseoir sur une chaise noire à coussin rouge et me dit doucement : — ne parlez pas, l’abbé est en train de finir son poème… En effet, un homme en soutane devant un demi-cercle formé par l’assemblée d’une dizaine de personnes où je ne reconnus aucun visage disait avec une grande affectation soulignée par les mouvements de sa main gauche un texte dont je n’entendis que les trois dernier vers qui me parurent bien pompiers et que je m’empressai d’oublier. Quand il eût fini, le chevalier revint vers moi et me conduisit à une femme d’une cinquantaine d’année qui était assise dans une bergère au centre du demi-cercle : — votre invité Madame la baronne. Elle me regarda comme si elle voulait me déshabiller puis : — On ne vous attendait pas jeune homme. Je sentis que je rougissais et cela m’était très désagréable. Elle ajouta : — Vous êtes donc ce Maurice Roman que quelques personnes de notre cercle littéraire on souhaité inviter. Je suis curieuse d’en savoir davantage. Je ne savais pas comment me comporter, je balbutiais un — j’en suis très honoré… auquel elle ne prêta aucune attention car elle se tourna aussitôt vers un homme d’une quarantaine d’années assis sur sa gauche à trois chaises d’elle : — Eh bien, Monsieur le Sous-Préfet, présentez nous votre protégé… L’homme se leva, me prit par le bras et nous plaça  au centre du demi cercle : — À vrai dire, je ne sais pas grand chose de ce jeune homme si ce n’est que j’ai quelquefois remarqué son nom dans notre presse locale aussi quand je suis passé devant la vitrine de l’excentrique bouquiniste de notre ville dont la boutique, comme vous le savez tous, est dans la petite rue derrière la préfecture et que j’ai vue, bien en évidence, son petit opuscule, j’ai désiré en savoir plus. Je ne suis, bien sûr, pas entré moi-même dans ce lieu où ma présence n’aurait pas été acceptable mais j’ai envoyé un de mes employés se renseigner et se procurer le petit ouvrage auquel j’ai trouvé quelques qualités. Le voici, dit-il, en présentant ma revue. Je pense que ce jeune homme vous en dira davantage.

Il retourna s’asseoir me laissant maladroit, empoté sous les yeux de l’auditoire. Avec un léger sourire qui m’embarrassa encore davantage, la baronne dit alors d’un ton qui se voulait très gracieux : — Jeune homme lisez-nous donc deux ou trois de vos textes qui, paraît-il, sont fort brefs et puis nous vous poserons ensuite quelques questions avant de bavarder autour d’un thé.

Je pris ma revue, l’ouvris au hasard, c’était un texte de L’amour dans l’âme. Il commençait ainsi : « A quoi sert d'évoquer les oiseaux lorsqu'on ne les regarde pas. Depuis longtemps il connaît le paysage. L'air a la transparence irréelle d'un ruisseau d'altitude : l'atmosphère est aux rêves. Les jours ici sont ronds. A l'orée des vallons l'air hésite. Car penser, c'est penser à la mort…. Devant lui le ciel caresse lentement la terre, derrière lui ciel et terre se fondent, il se sent soudain si fragile. » Le silence de l’assistance était total. Quand j’eus fini mon premier texte, j’en lus un second puis, le public semblant toujours attendre, un troisième… — Merci jeune homme me dit alors la baronne, si nous voulons connaître davantage de vos textes, Monsieur le sous-préfet se fera, je pense, un plaisir de faire circuler votre opuscule dans l’assemblée. J’avoue, si mes amis, me permettent d’ouvrir le débat, fit-elle en faisant des yeux un tour du demi-cercle. Personne ne dit rien, seuls quelques signes de tête discrets accordaient une autorisation formelle. J’avoue, continua-t-elle que, pour ma part, vos textes m’ont surpris, on ne dirait pas des textes achevés, mais plutôt des textes qui se cherchent et quel est ce personnage dont on ne sait rien ?

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