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Ma vie ne regarde que moi
26 mars 2020

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Il n’était pas rare que, à l’improviste, sans s’être jamais annoncés, des écrivants de toutes sortes s’imposent ainsi dans mon « atelier » (appelons-le ainsi…). La démangeaison de l’écriture est un prurit bien plus répandu que la gale ou le psoriasis et j’en ai vu de toutes sortes depuis le grand-père désireux de laisser une trace d’une vie quelconque à ses descendants jusqu’à l’adolescent boutonneux persuadé qu’il était un poète de génie qui me mettait sous le nez ses poèmes de mirliton amoureux en passant par la femme trompée qui déversait toutes ses frustrations sur un papier qu’elle savait complice. Nombre d’entre eux s’étaient déjà cassé le nez en envoyant leurs textes à des éditeurs connus et ma « maison » apparaissait un peu comme leur dernier recours. J’avais l’habitude de les recevoir avec beaucoup d’amabilité et de ne pas les décourager dans leurs désirs car, pour l’essentiel, c’étaient eux qui me faisaient vivre. Je leur faisais comprendre que, oui, leurs textes étaient dignes de l’ennoblissement de l’imprimerie mais que cela avait un prix et que je ne pouvais le faire sans récolter d’abord un peu d’argent. Je leur suggérais plusieurs solutions : utiliser leurs économies, envisager une vente préalable de 2 ou 300 exemplaires auprès de leurs proches et amis, faire un emprunt en banque, et s’ils avaient quelques relations tenter d’obtenir une aide des nombreuses officines publiques ou privées dont le but était d’encourager la littérature… Je ne prenais ainsi jamais de risques sachant que, en ce qui me concernait, la production de leurs ouvrages me coûtait la moitié de ce qu’ils me versaient. Je dois dire que la modestie assumée de mon environnement de travail les rassurait, je m’arrangeais, alors que je vivais alors assez confortablement de cette duperie, pour leur faire comprendre que je ne roulais pas sur l’or, que les services que je réalisais ne l’étaient que parce que j’étais un amoureux inconditionnel de la littérature, en somme que je me sacrifiais pour eux. J’en ai rarement vu pleurer sur mon sort mais certains n’en étaient pas loin car j’avais appris à être convaincant. Par ailleurs, en dernier recours, je disposais d’un autre argument de poids. Je proposais, pour que mes dupes ne se voient pas ainsi, de les publier dans une revue « littéraire » que j’avais créée, Hôtel Continental, titre mûrement choisi car évoquant quantité d’antécédents littéraires, la seule condition étant qu’ils s’abonnent pour un an, ce qui représentait une dépense à l portée de toutes les bourses. Agissant ainsi j’avais un fichier, sans cesse renouvelé par de nouveaux entrants, car il était rare que les mêmes se réabonner, de 200 à 300 abonnés que je leur mettais comme un hochet sous le nez et qui avait un extraordinaire pouvoir de persuasion. Peu y résistaient or le coût d’une page, deux au mieux, de cette revue était pour moi bien inférieur à celui de l’abonnement. J’étais de toutes façons gagnant et ma petite entreprise tournait gentiment. Enfin, s’ils arrivaient à trouver de l’argent et que je les publiais, je leur proposais une publicité dans les pages de la revue dont le prix dépendait de la surface qui lui était consacrée et même, quand j’étais à bout d’argument, une rubrique critique assumée par divers de mes hétéronymes mais qu’ils devaient naturellement rémunérer, de même que si je devais leur fournir une illustration « d’artiste » pour leurs couvertures.

Peu d’entre eux se plaignaient ensuite. Bien au contraire, la plupart étaient heureux et fiers car ils voyaient leur nom imprimer sur un livre, une brochure, une plaquette de belle facture et pouvaient en faire étalage dans leur entourage. En fait j’assumais un mission d’intérêt général. Ma revue, pour cela, réussissait ainsi à obtenir une aide du Centre National du Livre.

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