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Ma vie ne regarde que moi
25 mars 2020

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La représentation du passé est une construction du présent, c’est en effet dans le présent que nous pensons notre passé. Rien, dans les souvenirs que j’ai aujourd’hui, de Ronald, hélas, contre toutes les lois de la nature, disparu bien avant moi, ne me permet de revivre avec précision et justesse les moments vécus ensemble car, au départ, tout semblait nous opposer. Dans la réalité, chaque rencontre ouvre sur de possibles bifurcations et celle-ci, et ses suites, furent, comme il se doit, imprévisibles. En fait, Ronald n’est pas vraiment mon neveu, tout au plus un neveu à la mode de Bretagne, c’est en effet le petit fils d’une des sœurs de mon grand père de Carmaux et notre rencontre est bien davantage le produit du hasard que celui d’une quelconque proximité familiale. Ronald né en 1982, soit soixante ans avant ma naissance. Jeune encore, il est mort d’une overdose à Montpellier, le 3 octobre 2012 et pendant les trente courtes années qu’a duré sa vie nous avons été très proches durant quinze ans. Pendant ces quinze ans nous ne nous sommes vus que par intermittences mais notre amitié a été d’une grande intensité car je crois avoir été pour lui à la fois le grand-père et le père qui lui manquaient. Il était né à Pézenas où, d’après ses dires, il vécut jusqu’à l’âge de quatorze ans fuyant ensuite une famille à laquelle il ne sentait pas appartenir. C’est par hasard que nous nous sommes rencontrés. Je ne vivais pas encore à Montolieu, mais à Montpellier où, toujours persuadé que je ne pouvais vivre que par l’écriture, car si j’avais déjà publié plusieurs ouvrages aucun ne me permettaient, et de loin, de vivre de mes droits d’auteur. Je vivotais donc d’écrits alimentaires et de petits boulots, mais surtout, en grande partie, d’une petite maison d’édition poétique qui tirait l’essentiel de ses ressources des nombreuses aides diverses à l’écriture et, surtout, des publications à compte d’auteurs des très nombreux imbéciles qui rêvaient d’être publiés, quelles qu’en soient les conditions. Il est possible que je parle de cela aussi un jour à venir car il y a beaucoup à dire sur ce monde des sans grades de l’édition. Chaque chose en son temps. Ronald, comme nombre de jeunes gens révoltés de cette époque, attirés par l’idéologie de la révolte et de l’anarchie se réclamait du mouvement punk et vivait comme tel. Sans ressources, il galérait ici ou là et pratiquait tout ce qui lui permettait de survivre depuis la manche aux sorties des églises jusqu’à de petits trafics en tout genre, capable de prêter main forte à un réseau de revente de hash comme à une bande de voleurs l’entraînant dans des coups à faire. Bref il se voyait comme un héros asocial totalement libre même si, à plusieurs reprises, il frôla la prison. Rutebeuf, Brassens, Rimbaud, Kerouac, Burroughs, faisaient partie de son panthéon et, s’il était peu doué pour la musique, il se croyait, lui aussi doué pour la littérature ayant déjà écrit quelques poèmes et chansons repris par un groupe local de hard rock totalement inconnu. Je ne sais comment, bien que nous n’ayons pas le même nom de famille, il apprit que nous étions vaguement parents. Il prétendit qu’un jour il était tombé sur un de mes ouvrages dans une brocante, appris ainsi en même temps que nous vivions dans la même ville et que j’étais éditeur. Il décida donc de me rencontrer. C’est ainsi que je vis un jour ce grand garçon dégingandé à blouson de cuir noir clouté totalement râpé pousser la porte de l’espèce de garage amélioré que j’appelais pompeusement « ma maison d’édition ».

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