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Ma vie ne regarde que moi
8 novembre 2019

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Notre Professeur de mathématiques de cinquième était un nouveau : il s’appelait Monsieur Rotrou. Ce nom peu répandu prêtait à rire et nous savions tous qu’à l’occasion, pourvu qu’il soit un peu faible, nous saurions en user mais je dois, dès maintenant dire que nous n’avons pas pu le faire car, si le surnom de Grotrou que, dans notre grande finesse de benêts adolescents nous lui avions tout de suite attribué lui resta, son arrivée, dès la deuxième heure de cours nous fit comprendre qu’il ne se laisserait pas marcher sur les pieds. C’était un homme dans la quarantaine — âge déjà étonnant pour un nouveau — carré, à la voix puissante et dont le regard se fixant lentement sur chacun nous en imposa immédiatement. Avec cet instinct très sûr des collégiens, nous avons tout de suite compris que nous ne pourrions pas plaisanter avec cet homme là d’autant que, sa façon d’expliquer les mathématiques avec des démonstrations très imagées, l’écoute qu’il manifestait, le fait de faire sans cesse appel à nos raisonnements, nous conquit immédiatement. Loin d’être un surnom injurieux, Grotrou devint très vite une appellation affectueuse. Si d’ailleurs j’ai acquis quelques notions mathématiques c’est à cet homme-là que je le dois.

Mais ce n’est pas pour cette raison que j’évoque ce Professeur, pour le comprendre, il faut me laisser faire un détour mais, après tout, aucun récit n’a besoin d’être linéaire…

Dans notre petit lycée provincial, les nouveaux élèves étaient rares. Or, cette année-là, dans notre cinquième, il y en avait deux. Chacun, pour des raisons différentes était l’objet de notre attention nous demandant quand ils aborderaient l’un de nous et même s’ils oseraient le faire. Beaucoup, je le savais pour l’avoir vécu lors de mon entrée en sixième, dépendrait de leurs comportement durant les premières heures, notamment durant la récréation qui suivait les notifications officielles faites par un surveillant avant que ne commencent véritablement les cours, où les groupes constitués l’année précédentes se reformaient spontanément en excluant tout aussi spontanément ceux qui leur étaient étrangers. Nous savions déjà qu’aucun des deux n’était pensionnaire ce qui signifiait qu’ils ne pouvaient être au lycée que parce que leurs parents étaient venus, pour une raison ou une autre, s’installer à Mende. Leurs vêtements ne portaient aucun signe qui nous les aurait fait classer dans la catégorie composites des « bourgeois » dont nous jugions unanimement qu’elle n’avait rien à faire au lycée, la plupart de ses représentants s’inscrivant, naturellement, au « petit séminaire », le lycée catholique de la ville. L’un des deux, assez grand, mince, très brun, le visage ouvert, le sourire au bord des lèvres alla spontanément se proposer comme partenaire à ceux de notre classe qui se lançaient toujours dans des jeux de balle. Il fut naturellement mis en observation dans un poste d’arrière où il devrait faire ses preuves. Le second semblait plus réservé. Assez trapu, il avait cependant une taille normale, une tête carrée sous des cheveux auburn en bataille vaguement frisés. Il ne fit rien pour s’intégrer à un groupe, s’asseyant au soleil sur les marches de l’escalier qui séparait la cour de l’entrée du lycée, il observait nos jeux comme se demandant quelle attitude il devait adopter, ou plutôt comme s’il considérait tout cela comme un peu puéril puis sortit un livre d’une poche et se mit à lire ne levant de temps en temps la tête de sa lecture que pour nous observer à nouveau. Cette attitude, peu conforme aux conventions implicites de la récréation m’intriguait : il allait bientôt passer pour un prétentieux, pire pour un fayot, un des élèves qui faisaient passer le travail scolaire avant les nécessités d’intégration au groupe.

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