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Ma vie ne regarde que moi
19 octobre 2019

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Nos vies empruntent souvent des chemins tortueux, l’invitation d’Antoine Dubreuil fut une des assez nombreuses bifurcations erratiques de ma vie. Je fus invité d’abord un dimanche, la mère d’Antoine, une femme élégante très blonde, presque blanche, sourire un peu crispé, vint, accompagnée de son fils, me chercher à la conciergerie du lycée. La ville était petite, du lycée à la Banque de France, la distance n’était guère de plus de deux kilomètres, pourtant ils étaient en voiture. Une Citroën « Rosalie » à quatre portes d’un éblouissant bleu océan. Le chauffeur ouvrit la porte, fit entrer Madame et son fils à l’arrière et moi à l’avant, à côté de lui. Je n’osais pas montrer ma joie et ma fierté de traverser la ville dans ce véhicule et pourtant, mon bonheur était absolu mais mon père m’avait recommandé la prudence et la discrétion. J’avais eu droit aussi à quelques leçons de politesse : s’effacer pour laisser passer les adultes, ne pas courir à tort et à travers, ne pas mettre mes coudes sur la table et me tenir bien droit sur mon siège… Tout ceci me rendait un peu gauche, mes hôtes eurent la délicatesse de feindre ne pas le remarquer.

L’immeuble de la Banque de France, dont le premier et deuxième étage constituaient l’appartement du Directeur était une belle maison entourée d’un grand jardin fermé par une grille de fer forgé, moitié pierre de taille, moitié briques rouges avec un toit d’ardoises fines. Je n’étais jamais entré dans une maison pareille. Tout m’étonna : les meubles brillants, les tapis sur le sol de marbre, la nappe blanche brodée de la table sur laquelle étincelaient des assiettes de porcelaines et des couverts d’argent que j’aperçus en traversant un salon aux murs chargés de toiles… Il était onze heures. « Antoine, dit sa mère, tu devrais faire visiter ta chambre à ton ami avant que nous passions à table » « Bien, maman… » et nous sommes montés au deuxième étage. La chambre d’Antoine m’apparut immense, deux grandes fenêtres donnaient sur le jardin, un des côtés était occupé par un grand lit, un autre par un vrai bureau de travail. Au milieu le sol était en grande partie occupé par un splendide train électrique avec des aiguillages, des ponts miniatures, une gare, des personnages… il y avait partout des soldats de plomb. Je n ‘aurais jamais oser imaginer un jouet semblable, je restais figé à le contempler : « Tu veux jouer au train électrique », me demanda Antoine. Je ne savais que répondre, il ajouta « Je n’en ai pas trop envie, ne veux-tu pas plutôt jouer au Meccano » me dit-il me montrant une caisse de bois dans laquelle s’entassaient des éléments métalliques. « Si tu veux… » « Qu’est-ce qu’on pourrait construire ? » « Je ne sais pas… » Antoine semblait réfléchir. « Si tu veux, on s’amuse à construire des robots, toi le tien, moi le mien » N ‘ayant jamais eu affaire à un jouet semblable, je n’étais pas trop à l’aise mais ne voulais pas le montrer : « D’accord… ». Antoine s’assit sur le sol et commença à fouiller dans la caisse en extrayant divers éléments. Je l’imitais. Il était très habile, semblait savoir exactement où il voulait aller et trouver les éléments dont il avait besoin. J’en étais très loin. Quand il eut fini et dit : « Voilà mon robot, je vais l’appeler Maurice », je n’avais réussi à rassembler que quelques pièces dans une construction maladroite. Antoine éclata de rire : « J’espère que tu ne l’appelleras pas Antoine ». J’étais mortifié mais bien résolu à ne pas le montrer. Je déclarais solennellement « C’est un robot surréaliste ». Antoine ne comprit pas.

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