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Ma vie ne regarde que moi
18 décembre 2019

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Le refus dont m’avait giflé cette adolescente ne fit qu’aggraver mon engluement dans l’isolement de l’écriture où je trouvais nombre de justifications pouvant, à la fois, m’y inventer un monde que je maîtrisais, fuir les nombreux écueils que la vie ne manque jamais de glisser sous nos pas, dire — sous couvert de la fiction — ce que je ne pouvais pas — ou ne savais pas — exprimer dans les confrontations de la vie réelle, rédimer les comportements des personnages de mon entourage… L’attrait de cette activité était d’autant plus forte qu’elle commençait à me donner une image « sociale ». Ainsi mon professeur de français ne cessait, à la grande satisfaction de mon père, de proclamer que j’avais un vrai talent d’écriture, que j’étais « un écrivain né », et faisait régulièrement publier quelques uns de mes textes dans la revue du collège qu’il dirigeait alors. J’eus même, à l’occasion d’un petit concours d’écriture sur « l’amour de la patrie » organisé par le quotidien « La croix de laLozère » le ridicule honneur de remporter le premier prix avec un texte que j’avais intitulé « L’Amour dans l’Âme », dont est extrait le passage suivant décrivant une promenade méditative et lyrique, par une journée ensoleillée, sur le causse de Sauveterre :

«…Il pourrait quitter tout cela, ne s'y résigne pas. Il pense que les mots peuvent prendre le goût intérieur des herbes. Il pense aux rares vautours fauves que l'on protège soigneusement, se demande si c'est vers un avenir de conservation qu'il faut tendre. Il a peur qu'il arrive quelque chose… Mais que pourrait-il arriver. Le calme est absolu ; la sérénité étale. Il pense qu'il affectionne ces paysages vides où il ne se trouve que face à lui-même. La lutte contre le désordre est une conquête de chaque jour. La terre engourdie n'a jamais bougé ici que d'une faible palpitation. Partout l'ocre clair du calcaire affleure. Il parle d'un monde totalement ouvert. A quoi bon refuser d'être. Il n'est pas le seul à subir. Il jette des pierres pour le chien qui le suit et ne cesse de les lui rapporter. Les hautes terres déroutent…. Il pense que l'intensité de la présence n'est fondée que sur le mystère de l'absence. Après d'immenses étendues presque planes, la terre soudain s'effondre en de profonds ravins abrupts qui marquent les limites des mondes. Si le monde était éternellement indifférent à notre présence, insensible à nos actes, ailleurs …. Dans le désert du paysage il regarde marcher ce vieux paysan bossu chez qui, enfant, il aimait tant aller boire une limonade. Le temps a ici son poids d'éternité. Il marche dans la mort, cherche désespérément des traces de vie vraie…»

Comme récompense mon texte, avec deux ou trois autres, fut publié dans ce journal ce qui ne manqua pas de m’attirer une ambiguë mais cependant éphémère gloire locale

À douze ans, ma vie était ainsi déjà esquissée : je serais un des prochains génies de la littérature française. Dès lors, mon professeur de français nous ayant dit un jour que les grands écrivains ne concevaient pas leur vie sans écrire au moins une page par jour, je me soumis à cette discipline et multipliais des exercices qui me semblaient autant d’exercices d’entraînement indispensables.

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