Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ma vie ne regarde que moi
14 août 2019

16

Je me souviens encore… Mais mon père me l’a rappelé tant de fois que je ne sais plus si c’est un vrai souvenir ou un souvenir construit… Le racontant à des amis, à la famille, il en riait toujours aux éclats… Je me souviens de ce jour, j’avais six ans, où, alors que nous regardions passer une des nombreuses processions catholiques qui encombraient la ville de Mende où nous étions descendus je ne sais trop pourquoi, que je demandais à une dame respectable, attentive et vêtue de noir qui se trouvait à côté de nous dans la foule qui regardait passer les prêtres et les angelots jetant sous leurs pas des pétales de rose, si elle croyait en dieu. — Bien sûr, dit-elle, vaguement surprise et attendrie… puis inquiète et manifestant, d’un regard figé, à mon père une certaine indignation quand j’ajoutais : Lequel ?

Comme il se devait, le mariage de mes parents eût donc lieu avec la bénédiction officielle de l’église. Lucien Roman épousa Marguerite Mazel en l’église de Rieutort de Randon le 23 juillet 1922, soit cinq mois avant ma naissance et la robe de mariée de ma mère dissimula ce que personne, sauf certainement quelques mauvaises vieilles filles, ne voulait voir.

La Roche était un village isolé dans une nature sauvage mais, en fin de compte, rarement hostile et qui savait se montrer très généreuse. Dans ces terres reculées et encore à moitié sauvages, les fêtes sociales et religieuses que constituaient baptêmes, mariages et enterrements étaient toujours occasion à festins et agapes : la nature offrait alors en abondance des nourritures qu’il suffisait de saisir : lièvres, lapins sauvages, sangliers, truites, goujons, vairons, cèpes, girolles, morilles, noix, myrtilles, mûres, framboises sauvages, cynérhodon, etc Qui peut aujourd’hui imaginer cela ? Je n’ai, bien sûr, pas vécu le mariage de mes parents, mais j’ai eu plus tard l’occasion de participer à d’autres et si j’ai vécu mon baptême, je ne peux en avoir aucun souvenir, mais il m’est facile d’imaginer ce que fut cette fête qui dura au moins deux jours chacun contribuant selon ses moyens aux agapes collectives.

 Mais il me faut encore obligé de bifurquer et de retarder d’autant le récit de ma vie proprement dite. Pas le choix, il me faut, ici, parler de mon grand-père maternel, Jules Mazel. L’année de ma naissance, il avait 56 ans. Et si j’en juge par les minuscules photos fripées qui m’en sont parvenues, et surtout le portrait maladroit, œuvre certainement d’un de ces peintres qui passaient encore dans les campagnes au début du siècle, sur lequel il devait avoir vingt ans de moins, c’était un homme énergique. Quand je l’ai connu, ou du moins quand l’éveil de mon intelligence et de mes sens m’a permis de construire des souvenirs de lui, il avait plus de soixante ans. L’évocation de ce grand-père Jules me rend nostalgique. N’est-ce pas dérisoire à mon âge ? Je me sens soudain comme un tout petit enfant et il m’est soudain difficile d’écrire.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité