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Ma vie ne regarde que moi
13 octobre 2019

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La sixième a coulé comme un bateau qui sombre. Je ne me souviens que de moments négatifs : les grands qui, dans la cour de récréation, me volaient mes billes ou, sous prétexte de partage, les bonbons que mes parents me faisaient passer de temps en temps ; l’ennui des longues heures d’étude où il fallait faire semblant de travailler alors que, plus rapide que la plupart de mes camarades, je ne savais plus que faire ; l’abêtissement des heures de cours : rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosas… keine Freude, keine Freude, keiner Freude… ou ces « explications de textes » ou l’auteur, sûrement mentalement déficient, ne disait jamais ce qu’il aurait voulu dire. Je me souviens du prof de latin — un camarade de guerre de mon père, cadeau redoutable — qui se faisait fort de mettre fin à n’importe quel hoquet de l’un quelconque de ses élèves en lui pinçant la glotte ou qui, passant discrètement derrière les rangs, donnait de vives claques sur la nuque des élèves qui, à son avis, rêvaient trop ou, ce qui revient au même, ne travaillaient pas assez ; je me souviens aussi des inimitiés, des moqueries, des brimades que me valaient mes connaissances et ma vivacité d’esprit comme ce jour où, dans un texte que j’ai oublié, la professeur de français demanda si l’un d’entre nous connaissait le sens du mot guêpière. J’avais beaucoup lu, piochant sans limite dans l’éclectique bibliothèque paternelle, je lisais toujours : je répondis spontanément ce qui me valut aussitôt une moquerie de l’enseignante : « Vous — tous, à cette époque vouvoyaient les lycéens —, Maurice, vous savez ce qu’est une guêpière ? Vous êtes bien déluré… ». J’appris ainsi à dissimuler, à m’interdire de répondre aux questions — la plupart étant d’ailleurs de fausses questions destinées simplement à mettre en valeur les connaissances naturellement supérieures de l’enseignant —, à feindre de ne pas avoir appris, ce qui me valut de nouvelles remontrances ou moqueries les enseignants étant persuadé que, pour une part d’entre elles, je connaissais les réponses. Lentement, alors que dans la classe de mon père, chaque minute était portée par une joie de découverte, j’appris à ne plus aimer apprendre. Ou du moins, tant il est difficile d’interdire à son cerveau de travailler, à ne plus mettre en avant ce que, en dépit de moi, j’apprenais. Aux classements trimestriels, j’étais cependant, sauf en gymnastique où mon jeune âge me défavorisait, régulièrement le premier dans la plupart des matières. La contradiction entre mes résultats et ma réserve dans les cours, me valut la réputation d’élève timide qui devint un des refrains de mes bulletins de notes : il fallait me forcer à participer. Les professeurs s’y efforçaient : pour mes camardes je devins le chouchou des profs, le timide introverti simplement capable d’être sage, bien élevé, appliqué, attentif, travailleur… Bref le contraire de tout ce que chacun d’entre eux attendait d’un camarade. Je fus de plus en plus isolé : n’ayant personne à qui parler je lus encore davantage, anticipant sur les leçons, à la fin du premier trimestre je connaissais déjà parfaitement tout le programme d’histoire, de géographie et j’avais lu la plupart des textes du Lanson, notre manuel illustré d’histoire de la littérature française. Plus encore, j’avais lu, piochés dans la bibliothèque de mon père, quelques œuvre intégrales comme « l’avare » de Molière ou « Les orientales » de Victor Hugo.

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