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Ma vie ne regarde que moi
13 août 2019

06

C’est une grande prétention de croire que ma vie peut intéresser qui que ce soit d’autre que moi. Je ne l’ignore pas mais, à l’âge que, en dépit des épreuves et des erreurs, j’ai fini par atteindre, j’éprouve le besoin de faire le point sur toutes ces années passées avec l’illusion naïve que mon expérience peut présenter quelque intérêt. Mais si nombreux sont ceux qui ont dit ça avant moi, si nombreuses sont les confessions ou biographies sans intérêt que j’ai lues… Chacun de nous se croit unique et s’imagine que l’histoire de sa vie peut partiellement fêler la coque dans laquelle chacun de nous s’enferme pour vivre. Littérature. Comme mes nombreux prédécesseurs je veux cependant croire que la maladresse de mes textes et surtout leur sincérité totale sauront toucher en quelques lecteurs un reste de curiosité pour ceux de leur espèce.

Mais comment parler de ma vie sans expliquer son origine ? Mon père et ma mère, au delà de la simple biologie, ont fait notamment de moi ce que je suis, ont, sans le savoir, tracé toutes mes trajectoires.

Lorsqu’à la fin de la guerre mon père demanda à être nommé dans un misérable village retiré de Lozère, la situation humaine était particulière : il n’y avait dans les villages presque plus d’hommes jeunes. La guerre avait fait son œuvre macabre. Habitués à subir et obéir, les jeunes paysans de Lozère constituaient de parfaites troupes de premières lignes, ils avaient été ainsi massacrés en si grand nombre que des villages entiers ne reposaient plus que sur les femmes, le reste de leur population n’étant composée que d’enfants et de vieillards. Nombre d’entre eux sont alors devenus des villages morts, terres en jachères, abandonnés aux herbes sauvages et aux animaux errants. La nature est rude en Lozère et reprend vite ses droits mais ce n’était pas cependant tout à fait le cas de La Roche.

Arrivé au village, mon père fut immédiatement le centre d’intérêt de tous ses habitants : un instituteur était alors un notable, non par l’argent comme le notaire ou le plus gros propriétaire de la commune, ni par la force immanente de la religion comme le curé ou l’évêque, cet espèce de souverain que personne ne voyait jamais, mais par le savoir et l’intelligence. Et pour ces paysans dont la plupart lisaient à peine et n’étaient capable que de tracer leur nom, il représentait l’esprit, l’intellect — un terme que bien sûr ils ignoraient — ce qui lui valait un respect à la fois révérencieux et proche.

L’instituteur était à la fois un homme comme eux, qui, parce qu’il n’était pas astreint aux travaux des champs était d’une nature autre, mais vivait parmi eux, dont la vie quotidienne différait si peu de la leur, mais qui en même temps leur apportait cette ouverture sur le monde qui les faisait rêver. Un habitant paradoxal et, pour cela, respecté.

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